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Affaire Seznec Discussion

Affaire Seznec Affaire Quéméneur-Seznec... Plusieurs livres ont été publiés et la BN a conservé la presse de l'époque, numérisée sur Gallica. Des auteurs ont eu le dossier entre les mains : D. Langlois, D. Seznec, B. Rouz, G. Penaud Ce n'est qu'en 2015 que j'ai eu connaissance de cette affaire par le livre de Denis Langlois : pour en finir avec l'affaire Seznec. J'ai voulu en savoir plus.

La démonstration de Me Lamour en 1932

La démonstration de Me Lamour en 1932

Maitre Lamour ne défendait pas Seznec; il défendait ses défenseurs. Ce procès a été perdu. C'était un procès en diffamation. La thèse des défenseurs de Seznec de l'époque mettait en cause des personnes qui n'étaient probablement pas coupables et situaient le meurtre à Plourivo.

Ce passage de la plaidoirie de Maître Lamour ne concerne pas la diffamation. Par contre c'est une démonstration brillante de la fragilité des témoignages humains sur la base desquels Seznec a été jugé et condamné pour meurtre. 

"Eh bien, Messieurs, c’est inexact et d’une inexactitude qui ne vient faire nul échec à la bonne foi d’aucun témoin mais prouve indubitablement leur erreur. Deux faits certains établissent cette erreur :

 

            a). M. Jean Gérard tient une mercerie à 200 mètres du Plat d’Etain, témoigne, pas une fois mais dix fois, que « Quémeneur et Seznec sont venus lui acheter une lanterne pour mettre à l’arrière de leur voiture et qu’il était à ce moment-là 20 heures trois quarts au plus ». (Cotes 55, 58, 98, 101, 127, 128)

 

            Donc, à 20 heures trois quarts, les deux compagnons achètent une lanterne. Pour acheter une lanterne il ne faut pas longtemps.

            Les bonnes du Plat d’Etain disent : Ces Messieurs sont arrivés au Plat d’Etain vers 21 heures 20. Donc Seznec et Quémeneur, partis chez Jean Gérard à 20 heures 45, seraient arrivés au Plat d’Etain à 21 heures 20. D’où il faudrait conclure, Messieurs, que pour faire deux cents mètres à pied, Seznec et Quémeneur auraient mis 40 minutes ! C’est absurde. Ils ont mis quelques minutes et étaient au Plat d’Etain avant 21 heures.

 

            b). Une autre preuve que Quémeneur et Seznec étaient là avant 21 heures 20, c’est que Quémeneur a téléphoné du Plat d’Etain.

 

            Or, j’ai dans mon dossier la preuve que le bureau de poste de Houdan ferme à 19 heures, sauf pour les abonnés pour qui le service est prolongé jusqu’à 21 heures.

            Si donc Quémeneur a téléphoné, c’est qu’il n’était pas 21 heures. C’est qu’il était moins de 21 heures et que par conséquent Quémeneur et Seznec sont entrés au Plat d’Etain avant 21 heures.

 

            A ces deux preuves mathématiques, dépassant les témoignages de toute leur rigueur, l’une venant d’une distance métrique, l’autre d’une certitude administrative, qu’oppose-t-on ? Le raisonnement des bonnes du Plat d’Etain.

            Il est bien évident, Messieurs, que ces braves filles n’ont rien à cacher et que dans cette affaire elles témoignent en toute bonne foi, sans que personne puisse songer à dire qu’à un moment quelconque elles aient pu avoir la volonté de déguiser la vérité.

            Mais, Messieurs, il y a une chose à laquelle on aurait tout de même dû faire attention. C’est une pièce du dossier, et elle est courte. Et dans sa brièveté, elle rétablit la vérité et accorde la bonne foi des témoins et l’évidence des faits.

 

            La patronne du Plat d’Etain a été interrogée. Oh ! elle n’a pas été interrogée avec beaucoup d’insistance, lors de la première enquête. Mais je dois signaler au Tribunal que, lors du règlement du dossier, un certain nombre de points de cette troublante affaire ont paru à la Chambre des mises en accusation si obscurs qu’elle a ordonné un supplément d’enquête avant le renvoi du malheureux Seznec devant les Assises de Quimper. Et dans ce supplément d’enquête on a recueilli, parmi tant de précisions intéressantes que nous retrouverons au cours de ces débats et qui infirmeront lourdement la thèse restée cependant impavide de l’accusation, le témoignage de Madame Provost, patronne du Plat d’Etain. Et que dit-elle ?

 

            « Je vais à Paris de temps en temps, à des jours variables, tantôt le lundi, le mardi ou le vendredi. Je ne me souviens nullement du jour où Seznec est venu. Du reste, je ne l’ai jamais vu. Lorsque je revenais de Paris, je prenais indifféremment le train de 17 heures 40 ou de 19 heures ». (Cote 119 du supplément d’information)

 

Ah ! Messieurs, lorsqu’on veut fonder un horaire précis sur un raisonnement il faut que ce raisonnement soit rigoureux et sans faille. Lorsque les bonnes du Plat d’Etain affirment : Il était 21 heures 20 parce que la patronne était rentrée de Paris et que le train arrive en gare d’Houdan à 20 heures 58, j’ai le droit de dire : Ces femmes ne mentent pas, mais leur vérité ne justifie pas un horaire et peut s’appliquer indifféremment au train de 17 heures 40 ou au train de 19 heures. Si elle prenait le train de 17 heures 40 (ou plutôt 17 heures 47 sur le véritable horaire), elle arriverait à Houdan à 19 heures 43, c’est à dire à la fois certainement avant Quémeneur et Seznec, mais dans un temps assez bref aussi avant eux, pour que l’impression des bonnes puisse rester exacte et qu’elles puissent dire : Madame était rentrée depuis peu de temps quand Quémeneur et Seznec sont arrivés.

            Elle arrive, en effet, à Houdan à 19 heures 43, c’est à dire un peu avant 20 heures. Et lorsque le témoin Jean Gérard déclare : Quémeneur et Seznec arrivent à 20 heures et demi ou 21 heures moins le quart pour acheter une lanterne, puis parcourent en quelques instants les deux cents mètres qui les séparent du Plat d’Etain en laissant l’auto à la porte de Jean Gérard, celui-ci dit la vérité, les bonnes disent la vérité, la patronne du Plat d’Etain dit la vérité. Et ces trois vérités concordantes, conformes aussi aux distances exactes et à l’heure d’interruption du téléphone, établissent simplement, mais d’une façon absolue, que la patronne est arrivée, partant de Paris à 17 heures 47, à 19 heures 43 : que Jean Gérard a vu arriver Seznec et Quémeneur à 20 heures 45 et qu’à 21 heures moins cinq, par conséquent, ils étaient installés et en train de dîner au Plat d’Etain.

 

            Et, Messieurs, si j’ai tort, je n’ai pas plus de raison que l’accusation d’avoir tort, et puisque, en tout cas, c’est vous, Messieurs de l’accusation, qui avez la charge de la preuve, puisque c’est à vous de me démontrer que Seznec est un assassin, j’ai le droit et le devoir de vous dire : Vous n’avez pas le droit de vous fonder sur ces éléments, parce qu’ils démentent votre hypothèse.

            Le Code de procédure le veut, c’est à l’accusation de rapporter la preuve, et ce que je puis dire au moins après ces faits et ces témoignages, c’est qu’elle n’a pas établi du tout que Seznec et Quémeneur aient quitté le Plat d’Etain à 22 heures, puisque cette heure n’est déduite que de leur arrivée supposée à 21 heures 30 et que ce raisonnement est contredit par des faits indubitables.

 

B. Mais, Messieurs, je dois vous le dire, contre ces faits, quatre nouveaux vont surgir qui paraîtront confirmer la thèse de l’accusation par une nouvelle précision horaire. Le Tribunal me rendra cette justice que je n’essaie pas d’esquiver les difficultés. C’est que, je puis le dire fièrement, j’ai devant moi un dossier avec lequel je n’ai pas besoin d’esquiver les difficultés puisqu’il me permet de les résoudre.

S’il se trouvait même dans cette affaires des faits ou des chargés inexpliqués et inexplicables, je n’aurais qu’à vous en faire part et je le pourrais sans affaiblir ma thèse. Je ne suis ni juge d’instruction, ni magistrat, et nous n’avons, ni Delahaye, ni Hervé, ni moi, les possibilités qu’a la justice pour apporter des preuves absolues sur tous les faits du dossier Seznec.

            Nous n’aurions qu’à vous démontrer que les faits sur lesquels il a été condamné ne sont pas décisifs, qu’il y a plus qu’un trouble mais une immense présomption d’innocence qui, même si elle s’appliquait à un crime où l’on soit sûr de la mort de la prétendue victime, devrait inciter à la réflexion et justifierait notre attitude. Nous pourrions vous dire sur tel ou tel fait : « Ici, je ne sais pas, je ne comprends pas, mais vingt autres éléments crient l’innocence. Cette affaire n’a plus la clarté autrefois prétendue. Il faut chercher, et contrôler, il faut réviser. » Mais nous n’avons plus que cela, et il n’est pas un point de cette affaire où ne puissions au moins apporter, appuyée sur des faits troublants, une hypothèse qui vaille celle de l’accusation. Dès maintenant, c’est pour nous une question d’honnêteté de dire pour le moins que nul ne peut affirmer que Seznec soit coupable. Nous ne vous demandons pas de dire aujourd’hui qu’il est innocent. Mais nous devons tous dire que nous ne savons plus s’il est coupable.

 

Voici donc les quatre témoins de 22 heures 10. D’abord, le chef de gare Piau et sa femme qui ne font qu’un. Ce doit être un ménage très uni ; lorsqu’un fait une déclaration, l’autre la répète exactement. Je ne veux pas faire intervenir dans cet accord parfait la baguette de chef d’orchestre du commissaire Vidal. Je préfère y voir un démenti à la réputation un peu trop facile de cette honorable corporation. Le chef de gare Piau et sa femme, l’homme d’équipe Garnier qui va venir également, sous réserve de quelques contradictions, confirmer ses dires et M. Nouvion qui, très tardivement d’ailleurs, va également les confirmer dans leurs grandes lignes : tels sont les témoins de la gare de Houdan.

 

            Ce qu’ils disent est surprenant.

            Je connais Houdan, j’ai vu les lieux. Il est exact que la nuit tout automobiliste non prévenu doit se tromper de route. Ce qui apparaît dans la lueur de ses phares comme étant la route normale n’est pas du tout la route de Paris, mais celle de la gare. Tous les soirs, on peut dire tous les soirs car ces mêmes témoins l’ont dit, des automobilistes se trompent et arrivent à la gare croyant rouler vers Paris. (Cotes 95, 96 et 443)

            Dès lors, Messieurs, qu’un chef de gare, sa femme, M. Nouvion et M. Garnier voient tous les jours des automobilistes se tromper et venir dans la gare, il doit paraître surprenant qu’ils gardent un souvenir aussi précis d’une erreur et d’une auto parmi tant d’autres.

Non, nous dira-t-on, parce que ce jour-là on a parlé, on a demandé un renseignement. Cela ne doit pas être si exceptionnel. Mais qui a demandé ce renseignement et comment ?

            L’un dira même : un Monsieur est descendu.

            Mais l’autre dira : Jamais personne n’est descendu.

            Je suis sûr, de façon absolue, je puis l’affirmer, que personne n’est descendu, dira finalement Nouvion. Je dis la même chose que mon camarade, personne n’est descendu.

 

            Je pense que vous avez eu l’occasion bien souvent de siéger en correctionnelle et vous savez quel crédit exact on peut accorder au témoignage humain, même fait de bonne foi. Combien de gens qui croient sincèrement avoir vu quelque chose dont ils ont seulement beaucoup parlé !... Combien qui, à force d’entendre répéter certains détails, finissent, de très bonne foi, par croire que c’est eux mêmes qui les ont perçus.

 

            Eh bien, Messieurs, n’est-ce pas incontestablement le cas des témoins de la gare de Houdan qui sont de très braves gens. Comment, voilà des gens qui tous les soirs voient des automobilistes qui se trompent. Et un mois après les faits, ils déclarent au commissaire Vidal qui, à aucun moment, n’est surpris par ces déclarations aussi précises, parce qu’il est le seul qui n’ait pas lieu d’être surpris : « C’était bien cette voiture et pas une autre. C’était bien le 25 mai. »  Et chose alors extraordinaire et incroyable : « Il était... Messieurs... 22 heures 10. » Non pas, « c’était après le dîner » ou vers « 22 heures », mais « il était 22 heures 10 », pas une minute de plus. (Cote 89)

            J’ai vu comme vous beaucoup de procès-verbaux de témoignages.

            J’en ai rarement vu qui portent un chiffre d’heures aussi précis et qui disent 22 heures 10, 13 ou 14, sans qu’il y ait pour cela des raisons absolues et probantes.

 

            Or, lorsqu’on demande au chef de gare Piau : Comment pouvez-vous dire qu’il était 22 heures 10 ? il répond en substance : c’est parce que la veille mes fleurs avaient gelé et que je descendais avant qu’il soit noir pour aller les couvrir. (Cotes 56, 89, 91)

            C’est donc à 22 heures 10 que M. Piau abandonne son oeuf à la coque pour aller couvrir ses fleurs qui avaient gelé la veille. Pas à 21 heures 45, à 22 heures 10.

 

            Pourquoi ? Hé bien, Messieurs, il faut bien le dire. C’est parce qu’il faut qu’à cette heure Quémeneur soit à Houdan, le dernier train pour Paris partant de Dreux à 22 heures 3 (en réalité 21 heures 58).

            Voilà la seule raison explicable. Il importe de démontrer qu’on n’a pas pris le train à Dreux à 22 heures 4 parce qu’à 22 heures 10 on était encore à Houdan.

            Piau, sa femme, Garnier et Nouvion, avec une mémoire étonnante, devant la quelle Inaudi n’a plus qu’à s’incliner, se rappellent qu’il était 22 heures 10.

            Et comme cela paraît tout de même un peu gros, on fait donner au chef de gare Piau une autre précision : « Garnier devait aller expédier le train 2443, et c’est pourquoi je suis sûr qu’il était 22 heures 10. »

            Magnifique précision. Malheureusement, le 2443 part à 22 heures 40. Nouvion s’en allait pour l’expédier à 22 heures 10. Encore un qui met une demi-heure pour faire cinquante mètres.

            Ils sont extraordinaires à Houdan. Ils doivent marcher sur les mains. On met trois quarts d’heure pour faire deux cents mètres et Nouvion s’y prend à 22 heures 10 pour arriver à 22 heures 40 de l’autre côté de la voie.

 

Ces précisions horaires sont une pure plaisanterie.

 

            Le chef de gare Piau allait recouvrir ses fleurs ; je ne pense pas qu’il attende qu’il fasse nuit pour accomplir cette besogne alors que l’heure d’été lui donne, comme à nous tous, - et nous devons en remercier le législateur – une heure de plus par jour en été pour l’utilisation de nos loisirs. Le chef de gare a le temps de finir son repas en famille et d’allumer sa pipe. Il descend, profitant de la fin du crépuscule, mettre ses fleurs à l’abri de la fraîcheur et rentre se coucher avec la satisfaction d’avoir accompli son devoir à l’égard de ses fleurs comme il l’a rempli à l’égard des trains, puisqu’il n’en passe plus à cette heure.

            Seulement, à la date des faits, c’est à dire la veille du jour où on a changé l’heure d’été, ce crépuscule de 22 heures se passe à 21 heures.

            Et comme cet homme de bonne foi dépose un mois après, il dit : C’était à l’heure où je descendais pour mettre mes fleurs à l’abri de la gelée, comme je le fais chaque soir. Donc, c’était à 22 heures. Il dépose précisément aux plus longs jours de juin. Et il a raison. Mais encore une fois, ces 22 heures s’appellent 21 heures le soir du drame.

 

            Messieurs, voilà, n’est-il pas vrai, qui explique tout. Nous n’allons pas venir suspecter la bonne foi de ces braves gens, mais je veux affirmer leur erreur involontaire et je la démontre.

 

            Et c’est pourquoi Seznec, qui lui, ce jour-là, n’avait pas les repères d’une vie sédentaire, qui n’attendait pas l’heure du crépuscule pour couvrir ses fleurs, mais qui voyageait l’oeil fixé sur sa montre, supputant la distance qui les sépare encore du but, gagnant sur la nuit à cause du mauvais éclairage de la voiture dont a témoigné le garagiste Hodey, c’est pourquoi Seznec, dont les souvenirs sont des souvenirs de cadrans et d’aiguilles, et non des souvenirs de chute du jour et de fleurs à couvrir, dit la vérité et a raison quand il affirme : « Il ne pouvait pas être 22 heures. » Il a raison, il n’était pas 22 heures, il était 22 heures d’été, un mois après, dans le témoignage Piau. Mais il n’était pas 22 heures au moment où M. Piau est descendu dans la nuit du 24 au 25 pour couvrir ses fleurs afin de leur éviter la gelée."

 

 

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