Le chauffeur de taxi

Et vous ? Reconnaissez-vous cet homme? En vrai il avait les yeux bleus et les cheveux châtains, mais ce jour-là il portait un chapeau.

Et ça c'est la photo que la police présentait aux témoins

Je suis accessoirement chauffeur de taxi. 

Et amoureux.

Le 10 juillet prochain je vais épouser l'un des plus beaux partis de Guingamp. Ce dimanche 27 mai 1923 nos deux familles respectives sont réunies pour nos fiançailles. À l'hôtel des parents de ma promise. Qui ont fait les choses en grand. 

***

1931.

L'eau a coulé sous les ponts. 

Mais dans la région de Guingamp un juge de paix réveille la conscience des habitants de Plourivo qui ont été témoins d'événements étranges à l'époque de nos fiançailles. 

C'était il y a huit ans. 

Mes souvenirs ne sont plus très précis mais j'en ai reparlé à ma femme; elle se souvient elle aussi. 

Boulevard de la gare un homme nous a accosté me demandant si je pouvais le conduire à Traou-Nez en Plourivo. 

Une occasion de promenade avec ma future femme. 

Promenade du reste fort agréable. 

 Notre compagnon de voyage était loquace. Il ne m'a pas donné son nom mais il m'a semblé être le propriétaire de Traou-Nez. 

Quand les journaux ont annoncé vers la fin juin qu'il était porté disparu, nous nous sommes posé des questions ma fiancée et moi-même. Mais les journaux disaient le 1er juillet qu'il avait été tué sur la route de Paris le 25 mai dans la nuit. 

Cela ne pouvait être notre passager. 

Et puis dans 10 jours nous allions nous marier et nous nous sommes concentrés sur les préparatifs de nos noces. 

Lorsque le juge de paix de Guingamp a relancé son enquête sur les faits de Plourivo il m'a semblé bon de lui dire que j'avais peut-être une information pour lui.

Mais il me fallait être prudent. Il ne fallait pas nuire au commerce de mes beaux parents en me mêlant d'une histoire criminelle qui pouvait me mettre en cause. 

Et si en témoignant je devenais pour la justice le dernier à avoir vu Pierre Quéméneur vivant. Ce voyageur je l'ai écouté; ma fiancée elle aussi l'a écouté ; mais nous ne l'avons pas dévisagé.  Je ne me souviens pas, huit ans après des traits de son visage. 

J'ai donc décidé de faire un témoignage prudent. 

Au juge de chercher d'autres témoins !

L'Aurore 14 Octobre 1948

On est bien content ! Grâce à la sagacité de Liliane Langellier, nous avons la preuve qu'en 1923 Francis Bolloch était représentant de commerce. Donc qu'il avait bel et bien une auto. 

Il l'a dit lui-même, il n'était pas loueur de voiture. Mais puisque il a accepté de conduire ce mystérieux voyageur à destination il n'y a pas grand mal à dire qu'il "a fait taxi ".

Si c'était vraiment le 27 mai 1923, ce client serait plutôt Louis Quéméner, le régisseur de Traou-Nez, le frère du disparu. 

Et la piste de Plourivo s'éteindrait. 

Le témoignage de Francis Bolloch n'apporte aucune preuve irréfutable car il est trop imprécis. 

Mais il reste troublant. 

De là à prétendre que Francis Bolloch a été un faux témoin, c'est lui faire un procès d'intention extrêmement malveillant. 

Qui? 13 juillet 1948